« Nous piétinerons éternellement aux frontières de l’inconnu, cherchant à comprendre ce qui restera toujours incompréhensible. Et c’est précisément cela qui fait de nous des hommes ».

I. Asimov, Le Cycle des Robots, Tome 1, Les Cavernes d’Acier

Le transhumanisme fait peur. Même lorsque ses applications actuelles ou promises dans un avenir plus ou moins lointain améliorent les conditions de vie de l’Homme (simplicité du quotidien avec l’interface homme-machine, meilleure santé), le transhumanisme crée incontestablement des risques et problèmes collatéraux que l’on ne peut ignorer. C’est l’éternel enjeu du progrès scientifique et technologique : jusqu’où peut-on aller sans nuire à autrui, sans se mettre soi-même en danger ? L’éthique de notre nature humaine commande d’y répondre.

Quelles sont les protections que le droit peut garantir contre les dérives inhérentes au transhumanisme ? Quelles sont les solutions que le droit peut dès aujourd’hui apporter à ces problèmes ?

Tout d’abord, les droits de la santé comme de l’e-santé, des biotechnologies ou des nouvelles technologies ont tous développé, à divers degrés de détails selon la spécificité de leurs champs d’application, le respect du droit à la vie privée qui est énoncé aux articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) ou 9 al.1 du Code civil (CC).

Cela se traduit notamment par la protection des données personnelles (Règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ou loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés) qui interdirait par exemple la captation et/ou la conservation des données médicales par un tiers transitant entre la lentille de contact de Verily et l’appareil connecté, sauf autorisation de la personne vis-à-vis de son médecin ou d’un service d’urgence, par exemple, dans des conditions préalablement définies, transparentes et avec un droit de regard de la personne concernée.

Par ailleurs, en France, on peut puiser dans le droit de la responsabilité civile délictuelle (art.1240 CC), du fait des choses (art. 1242 CC) ou du fait des produits défectueux (art. 1245 et s. CC) quand ces outils biotechnologiques défaillent et font défaut à notre santé, l’empirent ou causent tout type de dommage au posthumain ou à un tiers, se trompent ou sont trop difficiles d’interprétation. Bien que non préventives, ces mesures permettent néanmoins, dans une certaine mesure, de réparer les dommages causés et de responsabiliser tout autant les entreprises dans la confection de leurs outils que les individus dans l’utilisation de ceux-ci.

C’est précisément l’objet de la responsabilité civile que de faire peser sur les individus cette obligation de prudence dans l’intérêt général, à savoir la cohésion du corps social. Il est donc tout naturel qu’elle continue de s’appliquer aux transhumains.

Enfin, si l’on se projette suffisamment dans l’avenir, beaucoup craignent que le transhumanisme crée des inégalités entre les humains dits « naturels » et les humains « augmentés ». Les derniers bénéficiant d’aptitudes physiques et mentales plus performantes, ils seraient privilégiés dans nombre de domaines, principalement dans le monde du travail (embauche, promotion…), de la politique ou du sport.

De plus, l’accès aux nouvelles technologies qui permettraient de se transformer en humain « augmenté » pouvant être coûteux, le transhumanisme ne ferait qu’exacerber les inégalités existantes entre les différentes couches sociales de la société, laissant les moins fortunés dans une condition encore plus inférieure.

Toutefois, le principe d’égalité s’oppose à un tel futur. Enoncé à l’article 14 CESDH, il interdit de traiter de manière différente des personnes placées en une matière donnée dans des situations comparables (arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Willis c/ RU, 11 juin 2002, n°36042/9). Certes, certains pourraient craindre les exceptions au principe d’égalité justifiées de manière objective et raisonnable pour la CEDH (arrêt précité Willis c/ RU), par une « utilité commune » pour la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 1 DDHC) ou par les vertus et les talents des citoyens (article 6 DDHC).

En effet, si l’humain « augmenté » est plus talentueux que l’humain « naturel », ne pourrait-il pas être juridiquement privilégié à l’avenir ? Selon Jules Ferry, cette question recevrait une réponse positive selon l’ancien utilitarisme de l’idéal démocratique[1].

Mais le mouvement démocratique des deux derniers siècles conduit aujourd’hui à une réponse négative : il suffit de rappeler que les distinctions ne peuvent être faites sur l’origine ou les caractéristiques du citoyen, qu’il s’agisse de sa couleur de peau ou de l’absence de risque de développement d’une maladie que le profil génétique type d’un individu en bonne santé de Verily permettrait à l’avenir.

Le posthumain n’aurait pas plus de droits et de privilèges qu’un humain non augmenté, au seul prétexte qu’il serait plus efficace, et donc plus utile. Il suffit pour s’en convaincre de remarquer que notre droit protège de plus en plus les animaux, qui ne sont ni humains ni aussi efficaces pour notre société que le serait un posthumain. Même si certains peuvent concevoir « l’utilité » d’un animal pour son rôle affectueux, commercial ou nutritionnel, il n’en reste pas moins que « l’utilité », au sens de l’idéal démocratique antique, s’appréhende de manière active et non passive, l’animal n’étant vu sous ce prisme que comme un outil entre les mains d’un Homme (ou posthumain) efficace à s’en servir, « utile » à la société ou à ses proches.

L’utilité commune n’est plus le socle des droits fondamentaux : notre humanité, quelle que soit sa forme, interdit d’écarter de notre société les êtres différents.

Parce que si l’on cherche la marque ultime de l’être humain, par opposition au robot ou à l’intelligence artificielle, force est de la trouver dans notre empathie. L’Homme est capable du pire et du meilleur, mais c’est le meilleur de lui-même qui le différencie de la machine, d’une logique et intelligence certes plus puissantes et rapides que les nôtres, mais implacables et hermétiques à l’empathie, qui peut parfois être contraire à la logique pure.

Certes, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) investissent énormément pour permettre à nos téléphones de reconnaître nos émotions, et ce serait, selon Laurent Alexandre, un « enjeu industriel immense » que de pouvoir ainsi « personnaliser notre expérience au travers de notre téléphone »[2].

Début 2016, Apple rachetait ainsi Emotient (créée en 2012), qui avait développé une technique d’analyse de reconnaissance faciale pour détecter les sentiments. Ce outil peut aussi bien être utilisé par les annonceurs pour connaître l’impact des publicités, que par les médecins pour détecter les signes de douleurs chez les patients.

Toutefois, Laurence Devillers précise que si la machine ou l’AI peut reconnaître ou simuler l’émotion, elle ne peut pas la ressentir comme nous[3].

Le transhumanisme ne pourra jamais nous ôter notre empathie, notre charité, nos sentiments, notre éthique, notre morale, et qui seront toujours le propre de l’homme[4].

Il n’y a donc pas à craindre une humanité « augmentée » qui voudra se débarrasser de l’humanité « naturelle », n’en déplaise à Darwin.

Le droit est précisément le garde-fou de notre humanité, quelle que soit sa forme, et la preuve ultime de cette dernière.

Expert depuis plus de vingt ans dans les NTIC et l’e-santé, le Cabinet Haas s’engage dans le procès du transhumanisme et est à votre disposition pour vous conseiller dans ces domaines.

Pour plus d’informations, contactez-nous ici.

[1] L. Ferry, La révolution transhumaniste, Comment la technomédecine et l’uberisation du monde vont bouleverser nos vies, Plon, 2016

[2] L. Ferry, La révolution transhumaniste, Comment la technomédecine et l’uberisation du monde vont bouleverser nos vies, Plon, 2016

[3] Emission Bibliothèque Médicis diffusée sur la chaîne Public Sénat le 29/04/2017

[4] Laurence Devillers, Des robots et des Hommes. Mythes, fantasmes et réalité, Plon, 2017

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