« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
Rabelais
« Le transhumanisme diffère de l’humanisme en ce qu’il reconnaît et anticipe les changements radicaux de la nature et des possibilités de nos vies provoqués par diverses sciences et techniques […]. »
Max More
«Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur»
Bruno Deniel-Laurent « Eloge des phénomènes »
Les premiers développements du transhumanisme voient le jour depuis quelques années dans les domaines combinés de la médecine et de la technologie, et les partisans du mouvement (Raymond Kurzweil, Ronald Bailey, l’Association française transhumaniste…) souhaitent poursuivre, accélérer et pousser la recherche toujours plus loin afin de parvenir à l’être post-humain, humain « augmenté » dont ils rêvent.
Mais bien d’autres, tels que l’écrivain Alain Damasio dans son roman La Zone du Dehors (1999), craignent les risques que posent déjà ces développements pour l’être humain, notamment pour sa vie privée (données personnelles, crainte du contrôle de l’être humain par les technologies, notamment par une intelligence artificielle), et fustigent la perte de notre identité humaine et naturelle aussi bien individuelle que collective.
En effet, cette transformation de l’être humain en « post-humain » (homme augmenté ou du moins parvenu au terme de son évolution transhumaine selon ses désirs) est vue et appréhendée comme une négation de notre humanité, qui ne serait définie que par ses particularités biologiques, par essence et par nécessité à la fois vulnérables et robustes (selon l’expression de Thierry Magnin, prêtre et physicien). Si « la logique des nouvelles technologies est fondamentalement celle de la dématérialisation », et si l’humain se transforme avec elles, alors le posthumain n’aurait plus cette qualité purement biologique et, partant, humaine. Pire, la posthumanité serait le remplacement de l’humanité par des machines devenues des milliards de fois plus intelligentes que l’être humain, dotées de toutes nos mémoires et émotions.
L’intelligence artificielle (AI) est l’exemple le plus évident de cette crainte. Et Tim Berners-Lee, le créateur du web, nous met déjà en garde contre les logiciels qui pourraient créer et exploiter des entreprises de manière beaucoup plus efficace et rapide que les êtres humains, devenant ainsi les nouveaux « Maîtres de l’Univers ». Cette alarme cauchemardesque, sonnée à l’occasion du sommet mondial de la finance innovante (10 et 11 avril 2017 à Londres), rappelle l’expression du roman Le Bûcher des vanités (Tom Wolfe, 1987), dans lequel le personnage principal est un golden boy de Wall Street, un « maître de l’Univers ». L’AI remplacerait alors ces êtres humains dans le domaine des affaires et des finances, réduisant non seulement ces derniers au chômage mais pouvant également prendre des décisions injustes et iniques au regard du système financier dans sa globalité (de l’hypothèque à la liquidation d’une entreprise entière).
Cette crainte n’est en rien futuriste, comme l’activité des Fintech le prouve. Par Fintech (contraction des termes finances et technologie), il faut entendre les structures qui exercent dans le domaine des finances, généralement des start-up, et qui utilisent les nouvelles technologies (algorithmes) pour gérer toutes sortes de services bancaires et financiers (gestion de portefeuilles, échanges de devises…). Déjà en 2015, même les plus grands noms de l’informatique (Bill Gates, Stephen Hawking…) appelaient à signer une pétition mettant en garde contre les conséquences éventuelles de leurs propres activités dans le domaine de l’AI, horrifiés à juste titre, par exemple, par les drones programmés pour frapper sans en référer à une autorité humaine. L’Homme est déjà suffisamment faillible pour décider de qui doit vivre ou mourir en matière militaire, et l’horizon effrayant de la saga Terminator plane au-dessus de cette pétition.
C’est alors la question de la définition de l’être humain qui se pose aujourd’hui avec autant de vigueur à travers le transhumanisme, plus encore que la qualification du post-humain.
Qu’est-ce qu’être humain ?
Rabelais considérait que le rire est le propre de l’Homme. D’autres constatent l’empreinte de l’homme à travers l’art. Or, le rire et la créativité impliquent une certaine intelligence et exigent une certaine liberté. L’intelligence et la notion de liberté seraient-elle alors le propre de l’Homme ? Et si oui, Thierry Magnin considère encore que l’équilibre de vulnérabilité et de robustesse créé par notre nature biologique serait la seule condition de cette liberté, créativité et intelligence.
Selon, Isaac Asimov « La différence entre l’être humain et le robot n’est peut-être pas aussi significative que celle qui oppose l’intelligence et la bêtise » (Le cycle des robots, tome 3 : Les cavernes d’acier). C’est sous-entendre que l’intelligence ne serait pas nécessairement purement humaine, quand bien même, par anthropomorphisme, « L’être humain croira toujours que plus le robot paraît humain, plus il est avancé, complexe et intelligent » (I. Asimov, Le cycle des robots, tome 5 : Les robots de l’aube).
Il existe donc plusieurs types d’intelligences, et l’être humain se distingue des autres en ce qu’il est une machine qui se construit elle-même, là où les intelligences artificielles sont toujours créées par l’être humain. Dès lors, si la robotique permet de constater que l’intelligence n’est plus nécessairement le propre de l’Homme, les changements opérés par le transhumanisme sur ce terrain ne touchent pas à l’essence de l’Homme et, partant, l’être humain ne perd rien de son humanité à évoluer vers le posthumain. Nulle raison de craindre le transhumanisme, donc. Ce mouvement ne veut pas déshumaniser l’Homme. D’ailleurs, il suffit de constater que lorsque l’Homme crée des robots, il a tendance à les créer à son image. C’est bien la preuve que l’Homme ne veut pas perdre ce qui le distingue des autres espèces ou de la technologie, mais uniquement l’améliorer.
Le post-humain est un humain, plus qu’humain ou encore une nouvelle espèce ?
Cette question de l’évolution est fondamentale, car s’il ne faut pas avoir peur du progrès et de s’adapter à son temps (à l’inverse des « bioconservateurs »), il y aurait pour certains des changements plus importants à réaliser pour rendre l’Homme plus heureux et plus sain. Ainsi, selon Pierre-Marie Lledo (Directeur du département de neurosciences de l’Institut Pasteur), l’Homme n’aurait besoin que d’améliorations de ses conditions de vie sociales et politiques. Certes, il ne faut pas non plus nier par naïveté les risques du transhumanisme : génocide d’une population non augmentée, eugénisme, défaillance technologique… Et nous ne manquerons pas d’envisager ces risques dans nos prochaines publications. Encore faut-il ne pas voir le post-humain comme une évolution obligatoire, mais comme un choix possible qui souhaite apporter des solutions aux maux de notre temps. Dès lors, comment réconcilier ces deux positions antagonistes ? Comment améliorer les conditions de vie de l’être humain, aussi bien physiques qu’intellectuelles, sans porter atteinte à nos libertés fondamentales, à l’intégrité du corps humain et à la cohésion du corps social ? L’on pourrait être tenté de donner comme premier élément de réponse, à l’instar de Rousseau, qu’en tout état de cause, si l’Homme n’est pas déterminé au départ, il « peut devenir tout ».