Lieu
Cours d’appel de Paris
Date
Jeudi 22 Juin
2017
Contexte
En 2037, le transhumanisme est devenu une réalité :
Les hommes « s’augmentent » tant pour améliorer leurs capacités que leurs conditions de vie.
Depuis maintenant 2 ans, un gouvernement pro-transhumaniste est au pouvoir en France.
Le scénario :
Il compte notamment sur le soutien d’une partie croissante de la population dotée d’une cornée artificielle (« e- cornée ») intégrant des technologies de géolocalisation et de guidage, des technologies vidéo, d’identification et plus généralement de réalité augmentée.
Le nouveau ministre de l’Intérieur décide d’aller plus loin en portant la loi dite de « Transhumanisation des forces de l’ordre ».
Cette loi prévoit d’équiper les forces de sécurité d’une « e-cornée » et de capter la vision des porteurs de e-cornée volontaires pour participer au maintien de l’ordre. Ces « Citoyens Vigilants Volontaires » sont des collaborateurs passifs des forces de l’ordre en partageant leur vision en temps réel.
Cette nouvelle technologie d’augmentation a également un objectif probatoire : filmer, enregistrer, géolocaliser, identifier et dater, etc.
En cas de contestation relative à une intervention de maintien de l’ordre, les images collectées pourront être produites comme preuve.
Ce système dénommé « SuperVision » est centralisé dans une salle de contrôle de la Place Beauvau où des opérateurs traitent les différentes données collectées par les e-cornées.
L’adoption de cette loi a suscité nombre de critiques et a fracturé la société française en deux camps.
Alors que les sympathisants du gouvernement saluent une avancée historique, les opposants dénoncent une nouvelle atteinte à l’intégrité du corps et aux droits et libertés fondamentaux.
Des manifestations sont organisées dans les grandes villes du pays.
Un groupe d’opposants, se présentant comme « Bio-Résistants », décide d’aller plus loin et de pirater le système « SuperVision » afin de :
- démontrer ses limites en matière de recueil de preuves ;
- démontrer sa dangerosité pour les personnes s’étant fait greffer une « e-cornée ».
Cette action bio-résistante a pour effet :
- de rendre certains porteurs de e-cornée aveugles, d’autres sont victimes d’hallucinations extrêmement graves,
- d’aveugler le service « Supervision » du ministère de l’Intérieur,
- de provoquer des erreurs de géolocalisation, d’identification,
- de provoquer des effacements de contenus numériques,
La situation devenant endémique et de plus en plus incontrôlable, le ministre de l’Intérieur décide finalement d’agir promptement et efficacement contre la menace que représente cette attaque.
A l’issue d’une enquête d’une semaine, des personnes sont arrêtées.
Les Bio-Résistants n’ont pas eu la volonté de se substituer à la justice. Ils n’ont pas résisté. Comme leur avocat l’a précisé, ils n’ont pas cherché à se cacher, ils sont dans une démarche militante. Ils se posent en objecteurs de conscience prêts à tout pour lutter contre ce qu’ils présentent comme une « déshumanisation rampante ».
Le procès oppose l’Etat aux Bio-résistants qui ont été mis en examen pour : atteinte à l’intégrité d’un système informatique, atteinte à la sûreté de l’Etat, atteinte à l’intégrité de la société transhumaine, atteinte à la dignité transhumaine, etc.
Par ailleurs, l’un des Bio-Résistants, par la voix de son avocat, affirme avoir été victime de discrimination : il aurait été « licencié » de la police pour avoir refusé de se faire greffer une e-cornée alors qu’il faisait valoir son droit à l’intégrité corporelle.
En « hackant » le système « SuperVision », il semblerait que les opposants aient porté atteinte à la « santé » des Citoyens Vigilants.
Le hacking du système SuperVision a provoqué un bug généralisé de l’ensemble des « e-cornée » connectées. Or, en l’état des connaissances scientifiques, la greffe de « e-cornée » est irréversible car la technologie de membres bioniques est encore au stade expérimental.
Dix mille porteurs de « e-cornée » ont subi des dysfonctionnements plus ou moins importants de leur « e-cornée ». Certains ont, ainsi, définitivement perdu la vue. D’autres ont perdu la vue seulement d’un œil.
D’autres, encore, subissent des hallucinations répétées et plus ou moins importantes : de l’altération minime de la scène perçue à l’altération totale : ajout ou suppression de personnes ou d’objets, modification de l’apparence de certaines personnes, distorsion des distances, etc.
Les policiers victimes et les Citoyens Vigilants se constituent partie civile pour atteinte à leur intégrité physique.
Les Bio-Résistants risquent de lourdes peines de « neutralisation numérique » de niveau 8. Dans cette nouvelle Société transhumaine, les peines de prisons n’existent plus. L’intérêt d’écrouer physiquement des personnes a disparu depuis qu’a été créée la technique de neutralisation numérique qui consiste à greffer des puces électroniques sur les condamnés. Les condamnés se retrouvent ainsi prisonniers de leur propre corps selon des degrés divers (modulés selon le quantum de la peine) : plus la peine est lourde plus ils sont inhibés et plus leur capacité d’autodétermination est diminuée (échelle de 1 à 10).
Jeudi 22 juin, la première chambre de la cour d’appel de Paris a accueilli le procès fictif du transhumanisme.
2037, un groupe de hackers est jugé pour avoir attaqué les serveurs du ministère de l’intérieur qui contrôle un certain nombre d’augmentations bio-technologiques implantées chez ses fonctionnaires. Le combat est politique, la question est philosophique, les enjeux juridiques et moraux. Cela questionne un avenir proche, dont les prémices sont déjà bien réelles. Faut-il tout accepter au nom du progrès ?
L’accusé est un jeune homme ébouriffé, la chemise ouverte sur un torse maigre, qui n’offre aucune prise aux accusations de « bio-meurtrier » dont on l’accable. « J’ai aussi entendu “bio-terroriste” », dit-il à la cour, qui le jugeait ce 22 juin 2037 pour l’attaque informatique d’envergure que lui et sa troupe de hackers ont menée contre les serveurs du ministère de l’intérieur. La cible : l’« e-cornée », ce dispositif intégré à l’œil permettant d’optimiser les capacités de l’organe oculaire, de développer les capacités d’analyses, et d’implanter des compétences qu’un humain « traditionnel » ne possède pas. « Une technologie symbolique du transhumanisme », informe la présidente de la cour.
La troupe de hackers se présente comme des « bio-résistants » : lutter contre le transhumanisme, c’est lutter pour la liberté, l’autonomie de l’homme, ce qui fait sa spécificité et son indépendance. L’augmentation artificielle de ses capacités cognitives se ferait au détriment de son intégrité physique et morale, pour le profit d’une société totalitaire qui, via les implants, les prothèses, les puces, pourrait contrôler l’être humain et le maintenir dans une prison virtuelle.
Mais, dans cette attaque, trois personnes ont subi des dommages considérables, via l’atteinte au dispositif qui les équipait. Une policière (tous les fonctionnaires sont obligés, depuis 2037, de supporter une « e-cornée ») a perdu la vue. Un citoyen vigilant est désormais atteint de violentes et récurrentes attaques hallucinatoires. Ils disent leur vie « bouleversée » et souhaitent que les coupables soient condamnés.
La partie civile, Maître Gerard Haas, a fait citer un témoin : Laurent Alexandre, docteur spécialiste de l’intelligence artificielle. « Ce conservatisme sur le plan technologique est une menace pour le conservatisme », alerte-t-il. Il explique que les pays asiatiques et la Californie ne nous attendent pas, nous, le vieux monde, et progressent sans état d’âme dans la voie des bio-technologies. « À Singapour, l’écart entre la plus faible et la plus forte intelligence n’est que de 5 points, en France, elle est de 70. Le transhumanisme réduit les inégalités ! », assène-t-il, faisant référence à la « neuro-augmentation », développée par l’homme d’affaires Elon Musk et sa société Neuralink. Il demande au monde d’aujourd’hui d’accepter l’évolution de l’homme, comme le l’homme de Néandertal a, petit à petit, laissé la place à l’homo sapiens. L’avocat des parties civiles a abondé, ajoutant : « L’e-cornée permet d’améliorer les capacités physiques, d’accroître l’efficacité de l’homme. Les hackers sont des bio-centrés, alors que la technologie permet de s’affranchir des limites humaines ! ».
L’accusation, tout en prudence, n’a pas souhaité tenter d’apporter une réponse. « Qu’est-ce que l’égalité humaine, qu’est-ce que le droit à la différence ? », s’est interrogée la première procureure. « Notre rôle est de poser les bonnes questions : à partir de quand le thérapeutique, la réparation devient une compensation, puis une augmentation ? », lance-t-elle, avant que son collègue lui succède pour requérir en droit. Il rappelle la réforme de 2036, qui refond totalement le droit des peines. Deux principales peines coexistent : la privation numérique – on coupe l’accès au monde numérique – et l’incarcération par le « biais d’une interface neuronale directe ». En clair, « l’administration pénitentiaire prend le contrôle du cerveau des détenus. Leur corps est libre, mais leur esprit est incarcéré. C’est l’État qui décide du programme de réalité virtuelle », détaille le parquetier dans un éloquent rictus de satisfaction. « Comme ça, plus de résine de cannabis, plus de téléphone, plus de rats dans les coursives », lance-t-il, goguenard. Et c’est idéal pour la réinsertion car, dans un second temps, l’incarcération est relâchée, et petit à petit, le détenu reprend le contrôle de son esprit. Contre les accusés, l’avocat général requiert de 8 à 15 ans d’incarcération numérique, jusqu’à 10 ans de privation numérique pour le jeune leader bio-résistant.
La défense a également son expert : Jean-Gabriel Ganascia, ponte de l’intelligence artificielle, prévient : « Ce qui fait le propre de l’homme, c’est son autonomie, sa liberté ». Comme l’État a admis le transhumanisme, il est « salutaire », selon lui, qu’« un groupe d’individus prenne l’initiative d’alerter l’opinion par ces piratages ». Le scientifique alerte sur le fait que ces bio-technologies affectent, altèrent les facultés les plus intimes de l’homme. « C’est une perte d’autonomie morale qui porte atteinte à l’humanité telle que nous la connaissons et la fait entrer dans une acception nouvelle ». L’avocat en défense, Me Emmanuel Daoud, décrit ses clients comme des « résistants, des lanceurs d’alerte contre une société déshumanisée, inégalitaire ». L’avocat met en garde : « Derrière le transhumanisme, on retrouve les mêmes problématiques d’argent, la même recherche de profit. […] Bientôt, nous ferons l’amour avec des androïdes ? Au profit de qui ? Sommes-nous des abrutis ? », provoque-t-il. Il demande l’acquittement de ses clients, estimant que c’est le ministère qui aurait dû protéger les porteurs de ces « e-cornées ».
Le procès était organisé par le cabinet HAAS Avocats, en partenariat, notamment, avec les éditions Dalloz, le mensuel Dalloz IP/IT et le Village de la justice.
Pour en savoir plus : https://www.proces-du-transhumanisme.com/
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